À l’époque bien lointaine où je suivais un cours d’histoire du théâtre et du cinéma, les enseignants trouvaient pertinent d’opposer deux types d’interprètes : le modèle à la française et le modèle stanislavskien.
Stanislavski, grand maître de l’école russe du début du XXᵉ siècle, plaidait pour une totale identification au personnage, au point que le comédien cessait d’être lui-même, pour devenir cet autre.
Quelques dizaines d’années plus tard, à New York, Lee Strasberg, fondateur de l’Actor Studio, a entrepris de perpétuer et de renouveler sa doctrine, façonnant ainsi les plus beaux monstres sacrés du cinéma américain ; l’exemple le plus significatif me semble être celui de Burt Lancaster, capable de jouer indifféremment, et avec la même justesse, le rôle d’un cheminot dans La bataille du rail, et celui du prince Salina dans le Guépard.
L’acteur à la française, au contraire, ne cesse jamais d’être lui-même ; passablement narcissique, il ne laisse pas ignorer que c’est lui qui tire les ficelles ; il prend son public à témoin : voyez comme je le joue bien ; ainsi le Jules Berry des Visiteurs du soir s’amuse-t-il à cabotiner dans son emploi du diable : cette prise de distance ne le rend pas moins crédible ; simplement, il y met de la joie.
Pour ma part, je vais plus loin dans l’éloge de ce modèle ; je propose de descendre d’un degré dans la mise en abyme ; j’aime retrouver cette duplicité dans les personnages eux-mêmes ; j’aime qu’ils prennent du champ avec le rôle qu’on leur assigne, qu’ils y mettent du jeu, qu’ils refusent d’en rester prisonniers.
Ceux-là sont des bouffons supérieurs ; Shakespeare et Boulgakov excellent à nous les proposer.