Le message du mythe, qu’il soit d’origine grecque ou biblique, se laisse lire à l’endroit et à l’envers, si l’on considère que l’endroit flatte les idées reçues, se transmet sans résistance par la grâce d’un premier degré compatible avec le discours dominant, et que l’envers offre à qui se met en peine de comprendre une vérité à la fois plus subtile et plus subversive.
Cette loi peut s’appliquer à Pandore et à Eve, deux personnages qui alimentent un fonds de misogynie pérenne en Occident. L’une et l’autre seraient responsables d’un évènement dommageable à l’humanité.
Eve se laisse tenter par le serpent, qui la persuade de goûter au fruit défendu de la connaissance, avant d’y inciter Adam, ce grand taiseux incapable de la moindre initiative.
Pandore, quant à elle, est décrite comme une écervelée, instrument inconscient de la vengeance de Zeus qui ne nous pardonne pas d’avoir apprivoisé le feu. Elle aurait inconsidérément entr’ouvert le coffret qui renfermait tous les maux, désormais incontrôlables et libres d’infester les mortels.
Dans les deux cas, l’humanité primitive est dépeinte comme une entité passive, béatement repue de faveurs qui ne doivent rien à ses efforts. Après la transgression de la Femme, les mâles sont dans la pénible obligation d’agir, de se doter peu à peu de moyens de survie.
En d’autres termes, nous devons à Eve et à Pandore de ne plus être des zombies sans besoins ni désirs, mais des êtres dynamiques et conquérants, voire dangereux pour l’ordre établi.
Les esprits forts verront dans la lettre d’un de ces mythes une incohérence : un des maux n’a pas le temps de s’échapper, et reste sous contrôle : il s’agirait de l’espérance, en quoi le dogme chrétien verra une vertu. Le grec elpis a un sens plus général : on le traduira globalement par l’idée d’attendre du nouveau, de se projeter dans le futur – pour le meilleur et pour le pire.
Sénèque y verra peu d’avantages, considérant que du coup, nous sommes, à la différence des animaux, incapables de profiter pleinement de l’instant présent.