Héros tragiques

Héros tragiques

Tragique et tragédie comptent parmi nos mots les plus galvaudés ; dans la langue des médias, ils désignent des accidents d’une ampleur certaine, causes de morts nombreuses, et affectant leur lot de « victimes innocentes » – entendez « comme vous et moi ».

Si la réalité de leur malheur ne fait aucun doute et mérite considération, il reste que ces termes ont été détournés de leur sens, dans une logique égalitaire post révolutionnaire.

Jusqu’à la fin de l’ancien régime, le héros tragique était un personnage de haut rang, voire, selon les Grecs, un demi-dieu.

Tel, il était dans le théâtre antique, tel, il reste chez nos auteurs classiques, soucieux d’un retour aux sources.

Il avait également une dimension sacrificielle, à l’instar d’Œdipe, qui prend sur lui les fautes et les maux de la commune humanité, avec valeur exemplaire et édificatrice.

On les dit, ces héros, créatures de l’hybris, qui en rajoutent dans l’arrogance, reproche probablement lié à un refus de se plaindre, au désir d’assumer pleinement le sort qui les accable en même temps qu’il les distingue.

Il nous faut replacer cet état d’esprit dans le cadre d’une idéologie aristocratique, qui pose qu’il ne sert à rien de se lamenter, compte tenu du caractère inévitable des maux qui tout au tard nous frapperont.

La maladie, la souffrance, n’étaient pas comme dans l’actuel occident des anomalies demandant remède, mais des données auxquelles on ne pouvait rien changer, et devant lesquelles un impératif de dignité commandait de ne pas perdre la face.

Ainsi comprendrons-nous la devise de la dynastie des La Rochefoucauld, porter avec honneur – porter signifiant alors supporter, endurer.

Mais il arrive aussi que les héros ne se contentent pas de subir, acceptent d’aller au-devant d’un sort que leur assigne la hauteur de leurs aspirations : dans son cycle symphonique consacré à Roméo et Juliette, Prokofiev nous propose un ballet solennel, hiératique, rêveur et mélancolique à la fois ; il s’agit de la séquence intitulée Bal chez les Capulet ; je ne connais pas de musique qui rende mieux compte d’une acceptation hautaine, sereine et merveilleuse, de l’entrée dans la Tragédie.