Le démon de la liberté

expression-diable

On ne dit plus tellement diable ! dans la conversation courante ; cette interjection semble tombée en désuétude ; on la retrouvera dans la bouche de certains héros de BD passés de mode, et momentanément désemparés.

Il faut regretter cette raréfaction, tant il est vrai que l’appauvrissement du langage n’enrichit personne, surtout quand rien ne remplace l’expression perdue.

Pour en revenir à nos héros, ils ne manifestaient pas à proprement parler une grave inquiétude, encore moins de l’effroi. D’ailleurs, aux temps médiévaux où on avait encore authentiquement peur de l’archange du mal, on le redoutait tellement qu’on se gardait bien de prononcer son nom, crainte de le convoquer.

Que disait-on d’autre quand on disait diable ?

Il revenait à l’homme d’action, ou au joueur de cartes, de le prononcer rêveusement en se frottant le menton, parce que la situation cessait d’être claire, qu’il fallait peser le pour et le contre – qu’il fallait pourpenser, pour employer un autre terme trop oublié.

Dans ce contexte, le locuteur redonnait au vocable son sens étymologique, qui reste de toute façon le meilleur.

En grec ancien, diaballo signifie écarter, ce dont se souviennent le jouet diabolo et le diable à deux grandes dents charrié par les manutentionnaires.

Le diable biblique lui-même est un séducteur, celui qui conduit sur une voie séparée, qui propose une alternative, qui entend écarter du droit chemin, comme il fait au désert à l’intention du Christ. 

On comprend mieux du coup la nature diabolique de Dom Juan, qui jette dans la perdition celles qu’il a su charmer ; l’adjectif diabolique connote souvent ce côté maléfique, l’idée que la tentation est trop forte pour qu’on soit en mesure de résister.

En ces temps où nous nous plaignons trop souvent d’être déterminés, souvenons-nous qu’un disant diable, nous assumons tout simplement l’embarras du choix.